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Lien mère-fille : du corps éprouvé dans la fécondité


Sigmund Freud parle  dans La vie sexuelle de la traversée du complexe d’Œdipe de la fille ; traversée qu’il envisage bien plus complexe pour elle que pour le garçon. Les travaux de Freud mettent au jour la période préœdipienne : la fille pense que son premier objet d’amour – la mère – possède un pénis, puis elle découvrira qu’elle ne l’a pas. 

 

Arrive le second temps, où la fille se tourne davantage vers le père, devenu objet d’amour, et la mère devient une rivale, cette mère « qui n’a pas donné à l’enfant un vrai organe génital » [1]. Au père, la fille demandera un pénis, tandis que la mère deviendra objet de haine. Cette haine contre la mère s’exprime alors par des désirs oraux et sadiques, désirs ensuite voilés par l’angoisse d’être tuée par la mère. Enfin, elle se défendra de cette angoisse par le souhait de tuer la mère. Freud ajoute que l’agressivité qui s’adresse à la mère prendrait surtout racine dans la période préœdipienne et non principalement dans la rivalité œdipienne. Freud nous dit que la reconnaissance de l’absence de pénis chez la fille n’est pas si évidente. Elle refuse la castration. Avoir un enfant pour la fille devient une manière d’avoir un pénis. Elle se tournera alors vers le père [2]

Monique Bydlowski parle d’un souhait ciblé sur l’expérience de la grossesse. Ce qui est recherché, c’est une complétude, le sentiment de se sentir pleine. Elle ajoute d’ailleurs que cette quête mène parfois à un acte d’avortement : « L’acte d’extraction du fœtus conforte d’ailleurs dans la maitrise de cet en plus qui vient à pousser, qu’elle peut se faire ôter, et recommencer de plus belle. »[3]

Lucie est une psychanalysante que je reçois depuis plusieurs années maintenant. Elle apprend un jour que sa mère est atteinte d'un cancer. Lucie ne cache pas sa haine envers sa mère dans ses séances. À la séance suivante, la psychanalyse annonce qu'elle souhaite engager un protocole de don d'ovocytes. Elle dit "Mais je suis pas bête, c’est une démarche très narcissique plutôt qu’altruiste. Parce que je me dis que j’aurai pas d’enfant et je trouve ça triste. Je me dis que c’est du gâchis. Faire ce don d’ovocytes pour avoir une continuité de moi sur cette terre. »
Lucie ressens une grande culpabilité liée à son agressivité à l’égard de sa mère : "J’ai pensé que cette démarche c’était pour sauver ma mère, créer ponctuellement d’autres mères pour sauver la mienne ". Cette culpabilité, l’amenant à se haïr elle-même sous la forme de s’en prendre à son propre corps, notamment par le biais d'une boulimie à l'adolescence et d’un avortement, se profile à travers le fantasme de faire un enfant pour sa mère. Mais à quel prix ? Eh bien, toujours au prix de son propre corps. Car si un don paraît être une démarche à première vue louable, le don d’ovocytes n’est pas une mince affaire : injections d’hormones et ponction ovocytaire sont au menu, ce qui est loin d’être une pratique épargnant le corps. 

Finalement, un évènement rend impossible la démarche du don.  Me voilà rassurée, la psychanalysante ne payera pas de son corps sa culpabilité. Quelle naïveté de ma part. Lucie, guidée par la pulsion de mort, par la haine, est bien décidée inconsciemment à maltraiter son corps, peu importe le moyen employé. Jusqu'à aujourd'hui, Lucie ne désire pas devenir mère. Lui vient ensuite l’idée de faire congeler ses ovocytes, dans l’espoir d’avoir tout de même un jour un enfant, au cas où elle changerait d’avis à un âge plus avancé et donc possiblement à une période où elle serait moins fertile. 

La question de la maternité, de la fécondité, se retrouve souvent entremêlée dans le rapport à sa mère. Et ces questions s’engagent toujours sur des chemins destructeurs pour son propre corps. La route se retrouve barrée ? Qu’à cela ne tienne, Lucie trouve le moyen d’en emprunter une nouvelle. Néanmoins, jusqu’à maintenant, il n’a jamais été question d’un désir d’enfant tout court, sans artifices, sans souffrance. 

 

Bydlowski interprète la dette de vie, propre à la filiation féminine. La théorisation de la psychanalyste peut aider à faire une lecture plus précise pour le cas de Lucie, qui est bien au goût du jour puisque les affaires de PMA (Procréation Médicalement Assistée), GPA (Gestation Pour Autrui) et autres médicalisations de la fertilité sont au cœur de l’époque contemporaine. 

 

« Cette dette d’existence, dette symbolique à la Terre Mère que l’ombre vient représenter, que l’enfant vient incarner, renvoie bien à ce fait d’observation que, par l’enfantement et singulièrement par le premier enfant, une femme règle sa dette à l’égard de sa propre mère. (…) L’avortement a souvent ce sens de tuer la mère à l’intérieur de soi. Inscrites dans une haine maternelle déclarée, certaines femmes préfèrent plutôt avorter, voire se mutiler, que laisser s’installer à l’égard de leur mère une dette qu’il faudrait reconnaitre.»[4]

 

« Comme l’ombre, la reconnaissance de la dette est nécessaire. La vie n’est peut-être pas un cadeau gratuit mais porte en soi l’exigence de transmettre ce qui a été donné. Le don de la vie, à la fois promesse d’immortalité et de mort, induirait qu’une dette circule de mère à fille. Non réglée elle risque de grever le corps de l’enfant à peine né. Cette dette d’existence, dette symbolique que l’ombre vient représenter, que l’enfant vient incarner, renvoie bien à ce fait, confirmé par l’observation clinique, que par l’enfantement, singulièrement par le premier enfant, une femme accomplit son devoir de gratitude à l’égard de sa propre mère. »[5]


Le désir d’un enfant est déjà, comme nous l’enseigne Freud, un désir œdipien. Mais il présente également un versant narcissique lié à l’objet du même sexe. Selon Bydlowski : « Le désir d’enfant peut être le lieu de passage d’un désir absolu car l’enfant imaginé, l’enfant à venir est, pour la femme, l’objet par excellence. Ce qui est désiré est moins un enfant concret que la réalisation du plus vivace des souhaits infantiles : désir nostalgique de se retrouver soi-même bébé vulnérable des premiers mois de la vie »[6]

 

Pour l’auteure, il ne s’agirait pas uniquement de dette maternelle mais aussi d’un réaménagement identificatoire. Pouvoir traverser une grossesse jusqu’à la naissance de son enfant, ce serait également accepter le changement corporel et, inévitablement, renoncer à une certaine jeunesse pour s’identifier à sa propre mère. Reconnaître et assumer un désir d’enfant, ce serait donc accepter cette dette et l’identification à la mère. Mais l’identification à l’objet maternel, relevant du registre imaginaire, ne serait-elle pas justement ce qui pourrait venir faire obstacle pour Lucie dans son propre rapport à la construction d’une possible maternité, sans avoir recours à des interventions médicales douloureuses ? 

 

L’annonce de la maladie de sa mère et de sa possible mort à venir semble avoir provoqué un réveil pulsionnel et, ainsi, remis sur le devant de la scène son agressivité envers cette femme, source de culpabilité.

 

Pour ce qui est de sa dernière idée, celle de faire congeler ses ovocytes, j’interviens à nouveau en signalant là les traitements et l’opération que cela implique, qui ne sont pas une mince affaire.

 

Elle insiste en rappelant qu’aujourd’hui, elle n’a peut-être pas ce désir d’enfant mais qu’elle aimerait avoir le choix d’en faire un quand Dame Nature ne sera peut-être plus de son côté. Je lui réponds alors que ce qui compte, c’est ce qu’elle souhaite aujourd’hui et qu’elle ne sait rien quant à sa fertilité dans quelques années. La psychanalysante acquiesce et depuis n’a plus jamais réabordé le sujet. A-t-elle abandonné cette idée ? Rien n’est vraiment sûr mais, dès lors, elle aborde la question de faire du vide, et les crises de boulimie s'apaisent. 

 

Par certaines interventions du clinicien qui visent à introduire la castration, le manque, afin d’apaiser les organisations intramoïques comme les nomme Fernando de Amorim, constituées de la résistance du Surmoi et le grand Autre non barré [7], la psychanalysante est invitée à céder peu à peu sur sa jouissance.


Freud, S. (1907). La vie sexuelle, Paris, PUF, 1997, p. 146.

 

Freud, S. (1917). « Des transpositions pulsionnelles, en particulier dans l’érotisme anal », in Œuvres Complètes, Vol. XV, Paris, PUF, 2012, pp. 53-62.

 

Freud, S. (1925). « Quelques conséquences psychiques de la différence des sexes au niveau anatomique », in Œuvres Complètes, Vol. XVII, Paris, PUF, 1992, pp.189-202.

 


Bydlowski, M. (1997). La dette de vie, Paris, PUF, 2021.

 de Amorim, F. Schéma freudo-lacanien de l’appareil psychique.