L'installation en libéral après les études de psychologie : invitation aux étudiants de psychologie
Un souvenir me vint à l'esprit sur le divan, lorsque j'étais jeune étudiante : Un professeur affirma sans hésitation
« N’espérez pas vous installer en libéral et pouvoir en vivre avant au moins vos quarante ans ! » Mille étudiants fraîchement arrivés à l'université et voici ce que nous prédisaient les universitaires : un futur professionnel peu joyeux . Cette parole faisait échos aux propos d'un membre de ma famille lorsque j’annonçais m'engager dans la voie de la psychologie : « c’est le diplôme pour l’ANPE ! ». Pourtant de nature pessimiste, j'ai pu rétorquer : « Si c’est vraiment ce que je veux faire, alors je m’en sortirai. » Mon désir commençait‑il à pointer le bout de son nez ?
Accumulation de postes, de CDD, petits boulots alimentaires à côté, obligations de travailler dans les structures publiques, étaient selon ces enseignants un passage obligatoire. Certes, ils ne cachaient pas la réalité du marché du travail en ce qui concerne les psychologues. En position d'étudiant, il paraît presque impossible de se détacher de ce discours de l'Autre occupant une fonction de transmission. Tirer un apprentissage du discours de l’Autre et le remettre en question simultanément, voilà une tâche peu aisée.
Beaucoup d'entre nous ont abandonné le cursus sur le chemin. Certains ont décidé de jouer une carte tactique en se dirigeant vers les masters qui amenaient sur un marché du travail moins engorgé (psychologie du travail ou social), d’autres encore ont choisi de ne pas lâcher leur désir en se résignant à traverser ces tristes prédictions, convaincus qu’il n’y avait pas d’autre voie possible. Je faisais partie de ces derniers.
Un léger sourire se dessine sur mon visage lorsque je repense à ces paroles, car aujourd’hui dans la trentaine, je peux affirmer que je vis convenablement de la clinique en libéral, et cela depuis déjà un certain temps et que je n’ai jamais dû travailler dans une structure publique pour apprendre à conduire une cure. Une fois mon diplôme en poche, je ne souhaitais tout simplement pas aller chercher un travail en tant que psychologue, marquée par mes expériences en tant que stagiaire. Toutefois, je suis reconnaissante de ces expériences, qui m’ont permis de savoir que ce n’était pas la position que je souhaitais occuper professionnellement. J’y avais été témoin de l’impossibilité des psychologues à conduire une psychothérapie – et encore moins une psychanalyse – digne de ce nom, non parce qu’ils manquaient de finesse clinique, mais parce que le système public actuel n'offre pas la possibilité d’opérer cliniquement et dignement.
Comment mon parcours a pu prendre une autre voie ?
Mon désir couplé à de bonnes rencontres. Encore étudiante, je suis moi-même entrée en psychothérapie, puis en psychanalyse, chez une psychanalyste. Un jour, cette psychanalyste m’informe de l’existence du RPH (Réseau pour la Psychanalyse à l’Hôpital), dont elle est membre, et me propose de contacter son président, le Docteur Fernando de Amorim, pour rejoindre cette École de psychanalyse. Heureuse d'apprendre que je pouvais me former à la clinique avant même de sortir de l'université, le nom de son président réveilla une résistance. Où l’avais-je déjà entendu ? Après quelques recherches, j’ai su pour quelle raison il ne m’était pas inconnu : quelle mauvaise presse avait-il auprès des universités et des étudiants ! Je mis alors cette affaire en suspens.
L’année suivante, la rencontre d'une camarade de cours me parla à son tour du RPH : les étudiants pouvaient commencer à y recevoir des patients. La résistance se leva. Le désir de me former à la clinique et la développer pour m’installer plus tard en libéral, comme je l’avais envisagé avant de m’inscrire à l’université, était plus fort. Avec cette proposition, une nouvelle voie paraissait possible pour mon futur professionnel.
En effet, le président du RPH a créé la Consultation Publique de Psychanalyse (CPP) afin que les étudiants puissent commencer à occuper une position de psychothérapeute ou supposé-psychanalyste dans un local mis à disposition. Tout ceci se faisant bien évidemment sous la responsabilité du Docteur de Amorim, qui assure des supervisions individuelles hebdomadaires. C’est une nouvelle voie pour permettre à un étudiant de se former en tant que clinicien et de commencer, dès ses études, à construire le terrain pour son futur quotidien professionnel, en constituant sa patientèle.
Cette proposition, originale, fait ses preuves. Ma situation actuelle et celle de mes camarades du RPH peuvent en témoigner. S’ajoutent à cela un enseignement précieux et une articulation théorico-clinique régulière qui mettent au travail. Une autre proposition inédite du Docteur de Amorim au RPH permet davantage de rigueur à la position du clinicien : la psychanalyse du psychanalyste sans fin. En effet, le clinicien se doit de continuer à fréquenter le divan d’un psychanalyste tant que lui-même reçoit des patients et des psychanalysants. Ceci met en avant l’importance de la psychanalyse personnelle dans la formation du clinicien.
Devenir moi-même psychanalysante a été ma porte d’entrée pour une construction professionnelle plus satisfaisante que ce que le marché du travail a à proposer pour les carrières de psychologues. Pourtant, je n’y allais en premier lieu que pour soigner une souffrance. En réalité, cela va de pair : céder progressivement sur ses symptômes rend possible une construction du travail plus solide. J’évoquais plus haut ces bonnes rencontres sans lesquelles mon activité en libéral n’aurait certainement pas eu lieu, ou pas si prestement. Mais lorsqu’une main est tendue, l’être a le choix de l’accepter ou de la refuser. J’ai choisi de l’accepter pour ne pas m’engager dans une éventuelle errance clinique une fois diplômée. Ces lignes sont une invitation qui s’adresse aux étudiants de psychologie, ceux qui ont le désir de devenir cliniciens. Il n’y a pas de fatalité quant à cette évidence annoncée par les professeurs, celle d’un marché du travail saturé. Toutefois, cela se fera difficilement sans efforts, sans aller sur le divan et sans tendre l’oreille avec curiosité à ce qu’il se passe en dehors des murs de l’université. Il est de la responsabilité de chacun de construire son existence sans considérer comme parole d’évangile le discours de l’Autre. Il est tout à fait possible de vivre de la clinique rapidement, sans attendre un âge avancé ou une soi-disant expérience indispensable dans le système public.